Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol                          -                                 CAHIER D'HISTOIRE DE REVEL N° 21   page 29

 

Un élément pour évaluer la situation sociale
de Riquet à la veille de l’affaire du canal

 

Par Gérard Crevon

 

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L’exploration des minutiers des notaires réserve parfois de belles surprises. En voici un exemple.

En 1661, Riquet occupe une position éminente au sein de la ferme des gabelles du Languedoc. Ayant débuté comme simple grenetier au grenier à sel de Mirepoix en 1634, il s’est progressivement élevé dans la hiérarchie de l’institution, et dans le cadre du dernier bail, adjugé en janvier 1660 à Pierre Gautier, il est sous-fermier du Haut-Languedoc, la partie de la province située en gros à l’ouest de Lézignan. Pratiquant son métier de manière active et efficace, il a bâti au fil des ans une belle fortune, et a manifesté sa réussite sociale par l’achat d’une seigneurie et la construction d’un magnifique château. C’est à la fin de l’année suivante qu’il proposera son projet de canal à Colbert.
Le 19 avril de cette année 1661, il se rend chez Maître Balaguier, notaire de Toulouse, et lui fait enregistrer l’acte suivant (1) :

« L'an mil six cent soixante un et le dix-neuvième jour d’avril, à Toulouse, avant midi, régnant Louis par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, par-devant moi, notaire, dans mon étude, constitué en personne, Monsieur Me Pierre Pol de Riquet, seigneur de Bonrepaux, habitant de Toulouse, lequel, de son bon gré, suivant la procuration à lui faite par Messire Louis Fouquet, évêque et comte d’Agde, abbé des abbayes de Vézelay, du Jard, de Ham et de Sorèze, conseiller du Roi en ses conseils, chancelier commandeur et surintendant des ordres de sa majesté, passée devant Galloys et Cousinet, notaires au Châtelet de Paris, le dix-septième mars dernier,
que ledit sieur de Bonrepos a exhibée et après retirée pour s’en servir en autres affaires, a baillé et baille en afferme à Me Gilles Valette, notaire royal de la ville de Castelnaudary, à ce présent et acceptant, le revenu temporel de ladite abbaye de Sorèze, pour par ledit sieur Valette, en jouir, le sous-[af]fermer, et en disposer à ses plaisirs et volontés comme bon lui semblera, et ce pour le temps et terme d’une année qui a commencé le premier janvier dernier et finira à semblable jour de l’année mil six cent soixante-deux, et ce moyennant les prix et somme de onze mille trois cents livres pour ladite année, laquelle somme ledit sieur Valette s’oblige et promet de payer audit sieur de Riquet, audit nom, en cette ville, en deux termes égaux, savoir : le premier paiement le jour et fête de la Saint-Martin prochain, et le second et dernier le premier jour du mois de juin de l’année prochaine mil six cent soixante-deux, promettant ledit sieur de Riquet, audit nom, faire jouir paisiblement ledit sieur Valette dudit revenu temporel de ladite abbaye de Sorèze, et de lui demeurer aux cas fortuits lesdites sommes qu’il sera obligé de demeurer à ses sous-fermiers, avec lesquels il usera pour lesdits cas fortuits comme Mrs les évêques de Lavaur et de St-Papoul feront avec leurs fermiers, et est accordé que ledit sieur Valette ne sera tenu ni obligé de payer autres charges de ladite abbaye que seulement le prix de ladite afferme, et en cas qu’il en payerait, pourvu qu’elles soient bien et légitimement dues, lui seront précomptées sur le prix de ladite ferme. Et à tenir et garder ce dessus ledit sieur de Riquet a obligé les biens et revenus temporels de ladite abbaye en vertu de sa procuration, et ledit sieur Valette tous les siens présents et à venir qu’a soumis aux rigueurs de justice. Fait et passé en présence de Mr Jean-Baptiste Desquerré, suivant les fi[nance]s, et Me Jean de Baffié, résidant à Carcassonne, signés avec parties et moi. (signés :) Riquet, Valette, Desquerré pnt, Basfies, Balaguié. »

Étonnant document !

Mazarin vient de mourir le 9 mars, mais Nicolas Fouquet est encore le tout-puissant surintendant des finances du royaume, sa destitution n’interviendra que le 5 septembre. Son frère puîné, Louis, est évêque d’Agde depuis 1659 et abbé de quatre monastères, dont deux très importants, et à ces titres membre de l’assemblée des États de Languedoc. Le frère aîné de Nicolas, François, est archevêque de Narbonne, lui aussi depuis 1659, et à ce titre président des États de Languedoc.

Au niveau atteint par Riquet dans la hiérarchie de la ferme des gabelles de Languedoc, il ne pouvait manquer d’être remarqué par le surintendant des finances.
C’est donc certainement ce dernier qui aura signalé à son frère cet homme efficace pour gérer localement certaines de ses affaires. Beau témoignage de confiance ! Il est vrai que Riquet est un spécialiste de la finance, que Sorèze est voisine de Revel et que Riquet connaît bien la région. De fait, ce dernier va choisir un notaire de Castelnaudary pour lui confier le recrutement et l’encadrement des exploitants des domaines de l’abbaye.

L’acte de procuration de Louis Fouquet a été passé à Paris, au Châtelet, ce qui tendrait à prouver que Riquet fréquentait d’ores et déjà cette ville.

Ce document donne donc une idée plus précise de la position de Riquet dans l’échelle sociale de son temps et de ses relations avec les milieux du pouvoir. Cela rend moins surprenant la démarche que l’archevêque de Toulouse fera vers lui l’année suivante à propos du projet de canal.

 

NOTES


1 -.  A.D.31 / 3E-463, 1er registre, f° 84 v. Transcription adaptée en Français actuel.

 

 

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